Papiers tissés, mots tressés, soies entrelacées : Anne de Bodt sur les sentiers du non-savoir
Au fil du temps, de fil en fil, patiemment et délicatement, dans le silence de son lumineux atelier niché dans les arbres, Anne de Bodt explore la matière et compose ses fables tissées: Le secret de la fleur d’or, Les violes enchantées, Les espaliers de la joie, L’arbre à musique, … Des entrelacs aériens de fils et de franges, de mots de poètes et de textes anciens, de signes sacrés et de notes suspendues qui nous content, tout en raffinement et en sagesse, l’empreinte d’une lecture, d’un voyage, d’une méditation.
Il faut regarder longuement, rêver et se laisser emporter: par la sereine musicalité du tissage, son pouvoir d’émotion et de mystère, la poésie des fines partitions de papiers ailés, la douce vibration des lumières. Spiritualité et joie habitent les œuvres d’Anne de Bodt qui, dans le sillage de ses Radeaux du bonheur, fragiles esquifs de brindilles aux voiles tissées, voguent vers de symboliques rivages.
Recherche et méditation au fil de la soie, du lin et du papier
Pour Anne de Bodt, le tissage revêt une dimension spirituelle. Quand les doigts tressent, l’esprit médite. «C’est seulement par la concentration et le calme que naît la véritable intuition», dit-elle. «Croiser des fils, les entrelacer a, dans toutes les cultures, souvent été une activité rituelle, symbolique. C’est une discipline qui tente d’harmoniser la diversité, d’unifier la réalité. C’est une activité qui favorise une certaine forme de méditation, elle a un pouvoir incantatoire».
Anne de Bodt fait partie de ces liciers-créateurs contemporains engagés dans la recherche. Pour elle, le tissage est aussi une exploration, un cheminement, une longue histoire qu’elle raconte en touchant les matières, en mêlant les techniques. Elle conçoit d’ailleurs ses tissages comme des contes ou des récits d’expériences intimes.
C’est au cours de son premier voyage en Inde qu’Anne de Bodt ramène le sentiment de l’invisible intimement lié au quotidien, le choc des couleurs, le bercement de la musique. Depuis, méticuleusement, au rythme de la nécessité intérieure, elle cherche à travers le langage tissé à exprimer ce non-savoir, cet invisible qui spiritualise la matière, cette petite musique intemporelle qui anime le monde et se cache au cœur des apparences.
Si elle a choisi le papier, c’est qu’il lui permet d’aborder des thèmes d’expression plus divers que les matériaux traditionnels de la tapisserie. A son contact, calligraphies, notes de musique, lettres imaginaires, poèmes, mots anciens, traces infimes de la nature se nouent aux fils et aux fibres et deviennent écriture légère et mystérieuse.
A ses yeux, les textes intégrés dans le tissage, souvent extraits d’écrits de sages orientaux, ne doivent pas nécessairement être lus. Ils habitent la matière comme des traces de sagesse, des voiles de sacré.
Voici donc des œuvres poétiques où les fines bandelettes de messages, les fragments de paysages, les plages de papier ocre, jaune d’avril, bleu azur, blanc pétale, suspendus par une trame de fils ténus, semblent ouvrir quelques-unes de ses fenêtres de l’âme.
Isabelle Morlet